L’Hérault, mosaïque de vignes et de labels

Dans l’Hérault, la vigne n’est pas seulement un ruban vert qui ourle les collines : elle est mémoire et présent, elle s’étire de la mer aux contreforts du Larzac, portant des dizaines de visages. Depuis le XIX siècle, le département n'a cessé de transformer sa production, passant tour à tour par l’ère des grands volumes puis par la quête de qualité et de singularité. Aujourd’hui, deux familles de vins se partagent la scène : les vins d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) – héritières des anciennes AOC – et les vins d’Indication Géographique Protégée (IGP), autrefois Vins de Pays.

Derrière ces initiales, des paysages, des histoires humaines. Les comprendre, c’est mieux choisir à table et à la cave. Quelles différences l’œil ou le palais du consommateur peut-il saisir ? En quoi ces deux mondes dialoguent-ils ou s’opposent-ils ?

De l’AOC à l’IGP : brève histoire d’un partage

La reconnaissance officielle des vins de terroir en France a commencé en 1935, avec la création de l’Appellation d’Origine Contrôlée, qui devient en 2009 l’AOP sous la législation européenne. Symbole de tradition, d’encadrement strict et d’attachement à une zone géographique, l’AOP est pensée pour préserver la typicité d’un vin, la « vérité » d’un sol et d’un climat, selon des règles précises : cépages, rendements, techniques de vinification, aire parcellaire exacte.

Face à elle, l’IGP apparaît dans les années 1970 comme une reconnaissance de la diversité et de l’innovation pour les vins autrefois qualifiés de “vins de pays”. Elle rassemble, dans l’Hérault notamment, des cuvées qui revendiquent une identité plus large, des règles plus souples, une liberté créative plus grande, tout en préservant un lien revendiqué au territoire.

Quelques chiffres pour situer le débat

  • En 2022, selon l’INAO et la Chambre d’Agriculture de l’Hérault, la surface viticole du département avoisinait 80 000 hectares. Sur ces terres, environ 55% sont en AOP, 38% en IGP, 7% pour autres productions (Source : Observatoire viticole de l’Hérault).
  • 27 AOP reconnues en Languedoc (AOP Languedoc, Pic Saint-Loup, Pézenas, Faugères, etc.), dont beaucoup dans l’Hérault.
  • Pour les IGP, l’Hérault compte un peu moins de 10 IGP actives, dont l’IGP Pays d’Hérault (la plus vaste), Coteaux de Béziers, Côtes de Thongue, et quelques micro-IGP communales.

Mais la réalité du terrain est loin de se limiter à une simple opposition entre “les vins d’appellation” et “le reste”. Les frontières, parfois, se brouillent…

AOP et IGP dans l’Hérault : deux philosophies de vin

Des cahiers des charges distincts

  • AOP (Appellation d’Origine Protégée) :
    • Délimitation précise : chaque AOP correspond à une zone précise définie par l’histoire et la géologie. Par exemple, l’AOP Faugères couvre sept communes sur un baldaquin de schistes, pas une de plus.
    • Encadrement des cépages : les cépages autorisés sont listés pour chaque appellation. Par exemple, impossible de faire un Picpoul-de-Pinet sans, justement, le picpoul blanc.
    • Rendements limités : souvent entre 40 et 50 hl/ha selon les appellations (source : INAO, 2023).
    • Pratiques viticoles encadrées : taille, irrigation, densité de plantation, vendanges manuelles parfois obligatoires.
    • Dégustation d’agrément : chaque cuvée passe devant une commission pour valider son style et sa qualité.
  • IGP (Indication Géographique Protégée) :
    • Délimitation large : souvent une micro-région, une commune ou tout un département. Exemple : l’IGP Pays d’Hérault couvre tout le département.
    • Liberté sur les cépages : syrah, grenache, chardonnay, cabernet, marselan ou vermentino : les IGP acceptent des dizaines de cépages, y compris des variétés non locales ou minoritaires.
    • Rendements plus élevés : limite plus souple, souvent autour de 80-90 hl/ha ; la réalité qualitative est toutefois bien plus nuancée…
    • Pratiques viticoles plus librement choisies par le vigneron.
    • Pas de dégustation systématique d’agrément.

Pourquoi autant de règles ?

L’AOP cherche à garantir une identité « fidèle » à la tradition du lieu : un Faugères ou un Saint-Chinian doit ressembler à ce que l’on attend d’un vin né sur ces schistes, dans ces garrigues ventées. L’IGP valorise, à l’inverse, le savoir-faire du vigneron, sa capacité à inventer, à essayer des cépages venus d’ailleurs, à répondre, parfois, aux attentes du monde moderne (vins de cépage, profils légers, vins nature).

Visages et sens du vin : que perçoit le consommateur ?

À l’œil : repères d’étiquettes

Pour le consommateur, la distinction la plus visible reste l’étiquette. Un vin estampillé “AOP Languedoc”, “AOP Pézenas” ou “AOP Picpoul-de-Pinet” promet une origine hyper-ciblée, parfois gage de prestige, associée à un style. L’étiquette d’une IGP mentionne “IGP Pays d’Hérault”, “IGP Côtes de Thongue”… elle mettra souvent en avant le ou les cépages, ce qui séduit ceux qui cherchent à s’y retrouver dans la jungle ampélographique.

Au nez et à la bouche : profils et diversité

Les AOP cherchent une expression reconnaissable : le carignan façon Minervois, la syrah des Terrasses du Larzac, la minéralité du picpoul. Les IGP misent sur la variété, l’accessibilité, parfois sur un fruité immédiat ou une originalité de style. Sur quelques domaines, les deux approches cohabitent : le même vigneron peut façonner une “bouteille signature” en AOP et tenter des cuvées d’auteur en IGP, jouer sur les degrés alcooliques, les élevages ou les assemblages pour offrir des palettes de sensations inattendues.

  • Exemple concret : Sur le domaine cité par Le Figaro Vin (“Domaine de la Dourbie”), un chardonnay élevé sur lies bâtonnées en IGP Pays d’Hérault côtoie une cuvée de grenache pur AOP Languedoc. Deux mondes, deux intentions, mais issus de la même terre.

Au porte-monnaie : une différence de prix ?

Longtemps, l’AOP a signifié « haut de gamme », tandis que “Vin de Pays” désignait l’entrée de gamme. Cette frontière s’efface : de nombreuses IGP du département titillent les 10 à 20 €, certaines vont bien au-delà, notamment sur des micro-cuvées en biodynamie ou nature ; à l’inverse, le marché porte aussi des AOP vendues en grande distribution à moins de 7 €. Plus que le label, c’est désormais le nom du domaine, le savoir-faire, et le récit proposé qui déterminent la valeur aux yeux du public (voir étude FranceAgrimer, 2021).

Pourquoi choisir l’un ou l’autre quand on est consommateur ?

  • Pour l’AOP :
    • Recherche d’un “goût de terroir” affirmé, d’une régularité dans le style, d’un ancrage dans l’histoire locale.
    • Envie de découvrir les signatures classiques du Languedoc ou d’offrir un vin reconnu pour sa typicité.
    • Soutien à des filières locales : nombre d’AOP héraultaises font vivre tout un tissu de coopératives et de vignerons indépendants.
  • Pour l’IGP :
    • Curiosité pour la diversité : découverte de cépages rares (marselan, chasan, egiodola, etc.), nouvelles façons de vinifier.
    • Recherche de vins ludiques, de bouteilles d’auteur, voire de vins naturels (beaucoup sont en IGP faute de rentrer dans un cahier des charges rigide).
    • Rapport qualité-prix parfois imbattable sur certaines cuvées, et moins de barrières à la créativité vigneronne.

Ancrage et ouverture : le nouvel équilibre de l’Hérault

L’Hérault offre aujourd’hui aux amateurs une scène d’une richesse unique. Le département, longtemps caricaturé pour ses “vins de masse”, est devenu l’observatoire privilégié de la mutation française : la cohabitation, souvent joyeuse, de vignerons chercheurs en IGP qui réinventent le goût, et de domaines patrimoniaux attachés à l’AOP qui visent la reconnaissance internationale.

Les distinctions de label aident à se repérer, mais elles ne racontent jamais toute l’histoire : en AOP comme en IGP, on trouve des artisans sincères, des expériences aventureuses, des vins prêts à surprendre. L’idéal ? Oser sortir des sentiers battus, pousser la porte d’un domaine inconnu, comparer deux cuvées nées à quelques kilomètres de distance mais sous une étiquette différente, interroger le vigneron sur ses choix – et se rappeler que, dans un verre, le plus important reste ce qui relie le vin à la vie.

  • Pour approfondir : “Vins du Languedoc et du Roussillon”, Michel Smith, Éditions Sud Ouest ; INAO : www.inao.gouv.fr ; Observatoire viticole de l’Hérault : rapports 2022-2023.

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