L’IGP Pays d’Hérault : de la carte blanche à la quête d’identité

Qui s’est déjà rendu dans une cave coopérative héraultaise ou a flâné au milieu des rayons d’un caviste local, s’est forcément trouvé nez à nez avec quelques flacons siglés « IGP Pays d’Hérault ». Une étiquette à la fortune variable, à la réputation en forme de point d’interrogation : pour les uns, elle serait synonyme de liberté, pour les autres une solution de facilité voire un repaire d’assemblages disparates. Qu’en est-il ?

Avec 7 700 hectares revendiqués en 2022 (source : Comité Interprofessionnel des Vins du Languedoc, CIVL), l’IGP Pays d’Hérault est l’une des Indications Géographiques Protégées régionales majeures du Languedoc, bien que surclassée en volume par l’IGP Pays d’Oc, géante régionale. Pour comprendre ce que cette indication recouvre, il faut déjà saisir la place qu’occupaient les vins de pays dans l’ancien système français, et ce que leur reconnaissance européenne est venue bouleverser.

Naissance d’une appellation singulière : un peu d’histoire

Instaurée en 1982 sous la dénomination « vin de pays de l’Hérault », l’actuelle IGP Pays d’Hérault a vu le jour à une époque où beaucoup de vignerons cherchaient à s’affranchir de cadres trop contraignants et souvent trop étroits pour exprimer la variété des terroirs et des styles. L’Hérault abrite, hors des AOC, un formidable patchwork de sols : schistes du nord montpel­liérain, sédiments argilo-calcaires en vallée de l’Hérault, galets roulés de la plaine biterroise… Ce foisonnement se heurtait à la rigueur des délimitations AOC. L’IGP ouvrait un espace : exit la stricte hiérarchie des crus, place à l’innovation et à la fantaisie raisonnée.

La réforme des dénominations viticoles opérée au plan européen (règlement CE n°479/2008), a permis à ces « vins de pays » de devenir officiellement des Indications Géographiques Protégées. Exit l’image dévalorisée des VDP, l’IGP entérine l’origine, tout en maintenant une ouverture nette sur les cépages et les assemblages.

Terre de diversité : un territoire, mille visages viticoles

Ni trop stricte, ni trop permissive : la délimitation géographique de l’IGP Pays d’Hérault correspond précisément aux frontières du département. Cela recouvre :

  • une côte méditerranéenne balayée par la tramontane,
  • un arrière-pays de collines et de montagnes,
  • des vallées (Orb, Hérault),
  • et des terroirs volcaniques autour de Pézenas.

L’IGP permet, dans ses textes, plus de 40 cépages : grenache, syrah, mourvèdre, cinsault mais aussi cabernet sauvignon, merlot, viognier ou chardonnay... On autorise également les cépages locaux en voie de (re)découverte : terret, piquepoul noir, carignan blanc, œillade, aramon ou même vinification en mono-cépage d’anciens plants retrouvés sur le domaine. Cette latitude autorise quantité de styles :

  • rosés frais ou structurés,
  • blancs fruités et gourmands,
  • rouges charnus, parfois d’une grande profondeur,
  • et même pet’ nat’ (pétillants naturels), orange ou amphores s’y invitent.

Résultat ? Rares régions offrent une telle palette dans la gamme des IGP françaises : l’Hérault capte le souffle nouveau du Languedoc.

Liberté créatrice ou absence de ligne : avantages et revers d’une IGP ouverte

Les atouts incontestables d’un cadre souple

  • Expérimentation et innovation : L’IGP recueille les essais que la tradition AOC aurait refusés.  Un vigneron peut, par exemple, assembler carignan et marselan, planter du grenache gris, doser à sa mesure la macération, tout en gardant une origine valorisée.
  • Réintroduction des cépages oubliés : De plus en plus de domaines testent, parfois en quantités confidentielles, des vinifications de terret bourret, de piquepoul noir (rare, moins de 10 ha plantés en France, source INRAE), ou de clairette musquée.
  • Réponse souple à la demande : L’IGP permet d’adapter la production aux marchés, notamment à l’export et à la grande distribution, en gardant la signature « Hérault ».

Des dérives bien réelles

  • Risque de dilution de l'identité : À force de tolérer tous les styles, l’accusation de ‘fourre-tout’ n’est pas vaine. Le consommateur peut se perdre parmi les étiquettes, oscillant du vin gourmand de négoce au flacon d’artisan haut de gamme – deux mondes réunis dans la même IGP.
  • Manque de repères : Contrairement à une AOC où le terroir est roi, l’IGP Pays d’Hérault met au premier plan la ‘patte’ du vigneron. Cela peut, selon les sensibilités, être précieux ou déroutant, voire déceptif si le style attendu n’est pas au rendez-vous.
  • Présence de volumes industriels : La production totale d’IGP Pays d’Hérault avoisinait 540 000 hectolitres en 2022 (CIVL), dont une large majorité destinée à la GMS. Ce poids du vrac parfois standardisé a pu brouiller l’image qualitative, même si côté cave particulière, les cuvées signatures se multiplient et tirent l’ensemble vers le haut.

Ambivalence de l’IGP : entre refuge pour grands vins et exutoire à la massification

Quelques-unes des plus vibrantes expériences du Languedoc naissent aujourd’hui sous la bannière IGP Pays d’Hérault. De grands noms, parfois à la tête de domaines reconnus en AOC, produisent par choix ou par nécessité (jeunes vignes, expérimentations, ou parcelles hors délimitation) des séries limitées, non homologuées en AOC, mais en « hors-piste » créatif.

  • Chez Mas des Chimères (Octon), ce sont des carignans macérés façon glouglou électrisant.
  • Le Clos de la Barthassade (Aniane) joue l’élégance du chardonnay élevé en amphore.
  • Mas Conscience signe des rouges sur le fil entre vin de soif et cuvée sérieuse.
  • Des artisans comme Frédéric Porro (La Marèle, Saint-Chinian) ou Alain Chabanon (Montpeyroux) commercialisent en IGP leurs essais les plus libres.

À l’opposé, certaines caves coopératives écoulent des volumes conséquents, parfois standardisés, à des prix planchers vers les marchés européens, profitant d’une signature d’origine sans contrainte qualitative aussi exigeante qu’en AOC.

Quelques chiffres et évolutions clés

  • Surface : Près de 7 700 ha (2022, CIVL), soit plus du tiers de la surface viticole héraultaise hors AOC.
  • Production : Jusqu’à 540 000 hl selon les années (moyenne 2021-2022, CIVL).
  • Couleurs : 55 % rouges, 30 % rosés, 15 % blancs (données 2022, source : Fédération des IGP du Languedoc).
  • Répartition : 65 % des volumes vinifiés collectivement (coopératives), près de 35 % chez plus de 220 caves particulières.
  • Export : 48 % des volumes totaux sont acheminés hors France, preuve d’une valeur ajoutée pour l’agriculture locale.

Le poids de l’IGP dans la ruralité est considérable. Nombre de petits vignerons, privés d’AOC car hors zone, ou refusant tel ou tel cahier des charges, y trouvent une planche de salut, souvent le terrain d’une expression sincère et locale.

Quand l’IGP devient manifeste : expériences gustatives et nouveaux enjeux

En bouche, l’IGP Pays d’Hérault n’arrête jamais de surprendre. On y trouve :

  • Le croquant d’un grenache élevé sans extraction,
  • La fraîcheur saline d’un terret sur basalte,
  • Le caractère solaire d’un carignan longuement attendu,
  • Des blancs de piquepoul gris à l’acidité désaltérante,
  • Des cuvées expérimentales infusées aux arômes d’agrumes confits, de poivre blanc, de fleur d’oranger, de garrigue ou d’herbes sèches.

Ces expériences naissent souvent hors du cadre traditionnel. Certains domaines revendiquent des levures indigènes, la vinification en jarre ou en œuf béton, les extractions courtes… Loin de refuser l’héritage local, l’IGP devient laboratoire du goût, porte-voix d’une terre en mutation. Ce foisonnement n’est pas sans risque pour la lisibilité de l’appellation, mais il traduit la vitalité inédite de l’Hérault viticole contemporain.

Entre identité mouvante et nécessité d’adaptation : quelle voie pour demain ?

L’IGP Pays d’Hérault reste un vaste chantier : zone d’accueil protéiforme, elle doit aider le consommateur à ne pas s’y perdre, tout en continuant d’offrir un territoire d’invention aux vignerons. Face à la montée des vins naturels, des attentes environnementales nouvelles, au dérèglement climatique et à la concurrence internationale, l’IGP Pays d’Hérault sera-t-elle capable de conjuguer terroir, créativité assumée et exigence de qualité ?

Aujourd’hui, la meilleure piste reste sans doute la valorisation de ses singularités (parcelles volcaniques, anciens cépages, cuvées parcellaires) et une transparence accrue sur originie, pratiques et engagements. Les consommateurs, de plus en plus curieux, attentifs à la valeur d’usage autant qu’à l’histoire d’un vin, plébiscitent souvent ces démarches, gage d’une identité retrouvée.

Finalement, l’IGP Pays d’Hérault incarne toute l’énergie et les contradictions d’un vignoble qui refuse la routine. C’est un miroir d’une région vivace, qui préfère la richesse vivace à l’uniformité, même brouillonne, quitte à désorienter un instant, si c’est pour mieux captiver l’instant d’après.

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